Bonne lecture
Fortnite inquiète les parents.
Plus d’un an après son lancement en téléchargement gratuit, “Fortnite” et son mode “Battle Royale” n’en finit pas de faire parler de lui. Les plus jeunes joueurs le plébiscitent, les parents s’inquiètent parfois.
Si vous êtes parent d’au moins un enfant fan de jeux vidéo, vous n’avez pu passer à côté. Depuis un an, le jeu vidéo Fortnite est devenu l’équivalent d’un Star Wars pour une génération précédente : un phénomène de pop culture qui irrigue toutes les conversations de cour de récré et des réseaux sociaux – et pas seulement lorsqu’on voit Antoine Griezmann à la Coupe du Monde célébrer ses buts avec une danse inspirée du jeu. Alors, pour vous donner une chance de ne pas passer pour un ignare complet lors des tentatives de conversations avec votre ado (qui, sait-on jamais, daignera peut-être à l’occasion décoller sa tête de son écran), voici quelques clés pour comprendre pourquoi un lama, la mascotte du jeu, orne désormais sa coque de téléphone portable.
Quel est le principe de “Fortnite Battle Royale” ?
Bien que Fortnite soit sorti pendant l’été 2017, ce n’est qu’au lancement de son mode dit « Battle Royale » à l’automne suivant, que la popularité du jeu explose. Le principe de cette variante multijoueur est limpide : parachuter sur une île cent combattants, qui doivent collecter ressources et armements avant de s’entretuer, le dernier debout remportant alors la partie (qui dure en général une vingtaine de minutes).
Si le jeu a autant de succès, c’est avant tout parce qu’il est gratuit – moyennant inscription –, et disponible sur (presque) toutes les plaformes possibles : PC, Mac, consoles de salon, consoles portables et téléphones mobiles sous iOS et Android. Et grâce à son système dit de « cross platform », les 125 millions de joueurs enregistrés peuvent s’affronter quel que soit leur support.
Le jeu est-il très violent (et quel est l’âge requis pour y jouer) ?
Fortnite a grandement été influencé par PlayerUnknown’s Battleground, un jeu qui a popularisé ce principe de « combat à mort » quelques mois auparavant en s’inspirant lui-même des romans Hunger Games et du film Battle Royale. Mais, à l’inverse du rendu réaliste et anxiogène de son concurrent, Fortnite a choisi de décliner une imagerie cartoonesque dénuée d’effusion sanglante. Les armes affichent un design rondouillard et les costumes des joueurs sont souvent rigolos (voire volontairement ridicules). Du coup, le système d’évaluation européen des jeux vidéos, le PEGI, se contente de le déconseiller aux moins de douze ans.
Y a-t-il un potentiel d’addiction ?
Autant ne pas se voiler la face : la réponse est oui. Le génie du studio qui a développé Fortnite, Epic Games, c’est d’avoir mis en place un système ultra-efficace d’achats d’objets virtuels qui permettent au jouer se singulariser – une « skin », soit une nouvelle tenue pour son personnage, coûtera ainsi jusqu’à 15 euros. Pour maximiser l’efficacité de ces microtransactions, Epic Games s’est adjoint les services de Celia Hodent, une Française docteure en psychologie cognitive. Cette collaboration a engendré un système d’abonnement implacable, car renouvelable tous les 90 jours et basé sur des franchissements de paliers débloquant bien plus de récompenses pour l’acheteur.
Déjà redoutable chez les joueurs majeurs et vaccinés depuis longtemps, cette mécanique de jeu peut se révéler explosive chez les jeunes joueurs. Certains enseignants ne décolèrent pas face à des élèves terrassés par la fatigue des parties jouées une bonne partie de la nuit… Pour Marie Danet, psychologue clinicienne spécialisée et maître de conférence à l’Université Charles de Gaulle Lille 3, « il est important de rappeler, en préambule, que cela ne concerne pas tous les élèves. Mais la puissance de la force compétitrice dans Fortnite peut tout à fait happer certains élèves en difficulté dans les apprentissages, qui ressentent alors une valorisation. En conséquence, cette gratification de compétence peut les maintenir dans le jeu, pour retrouver dans Fortnite ce qu’ils n’arrivent pas à atteindre en classe. Il y a là un effet boomerang qui risque d’aggraver les difficultés qu’ils rencontrent par ailleurs. »
Faut-il pour autant forcément s’inquiéter si son enfant est accro ?
Marie Danet ne le croit pas : « Par essence, l’adolescent est dans l’excès, dans la transgression de l’interdit, le test des limites. Là où il faut s’inquiéter, c’est quand ça se répercute dans les différents cercles de sa vie ou sur sa santé physique. Le jeu n’est pas le problème, mais plutôt un révélateur de ses difficultés en tant qu’individu fragilisé. » Pour elle, la folie liée aux customisations payantes de l’avatar que l’on contrôle dans Fortnite n’est que le prolongement numérique des épiphénomènes vestimentaires survenant dans les cours de récréation, parce que les adolescents éprouvent un important besoin d’appartenance au groupe. La customisation produit une émulation, et a contrario, rester avec l’avatar de base (qui est donc gratuit) est un signe dévalorisant. « A travers leurs avatars, les ados peuvent se forger une identité qui leur correspond davantage, poursuit-elle. Fortnite, pour eux, c’est un peu l’idée de correspondre à un autre soi. Les constructions d’avatars numériques sont d’ailleurs parfois utilisées en psychothérapie ayant recours au jeu pour des exercices de renforcement de l’estime de soi. »
La seule recommandation pour les parents inquiets sera donc de leur conseiller d’établir ces limites (nombre d’heures par semaine, budget maximal à dépenser…) avec leurs enfants. Mais aussi, pour les plus investis et curieux, de ne pas hésiter à s’asseoir face à leur écran pour rejoindre leur enfant dans une partie. L’occasion de constater que, in fine, Fortnite n’est qu’un jeu parmi tant d’autres.
Article de Télérama